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Article • Bureau exécutif • Maritime • 16 November 2019

Les marins se mettent au vert

Réduction de la vitesse, changement de carburant, électrification des ports… Le secteur maritime vit une profonde mutation pour réduire son empreinte écologique. Une entreprise de longue haleine, alors que le temps presse.

De lourds nuages bas saturent les cieux. La Méditerranée se teinte d'un gris bleu acier. Le mistral balaie les îles blanchâtres du Frioul et le château d'If. Dans le quartier d'affaires Euroméditerranée, la tour vitrée de CMA CGM domine les berges du port de Marseille. C'est l'un des emblèmes de la cité phocéenne. Après Notre-Dame-de-la-Garde, bien sûr. Dans les étages, « le Fleet Center » - salle hautement sécurisée - abrite une dizaine d'écrans TV. De ce centre névralgique, la compagnie maritime surveille l'ensemble de ses bateaux qui naviguent sur les océans et les mers du monde entier.

Prévisions météo, suivi des typhons, sens des vents et courants, trajectoires prévues des navires, horaires de départ et d'arrivée des bateaux dans les différents ports du monde, CMA CGM communique en temps réel avec ses commandants de bord. Sur les écrans, les liaisons maritimes empruntées peuvent surprendre. En mer, le meilleur trajet n'est pas forcément le plus court. Pour des questions de sécurité. Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, pour des raisons environnementales. « Eviter un ouragan, profiter des meilleurs courants et des vents nous permet d'économiser du carburant. De même, en fonction de la congestion du port d'arrivée, nous pouvons ordonner à l'un de nos commandants de réduire la vitesse de son navire pour éviter un mouillage trop prolongé. Et économiser, de ce fait, plusieurs dizaines de tonnes de fioul », explique Xavier Leclercq, directeur central de CMA Ships, chargé de la flotte en propriété de CMA CGM.

Sous le feu des critiques pour ses émissions de gaz à effet de serre et sa pollution, l'industrie du transport maritime entend bien apporter sa pierre à l'édifice dans la lutte contre le dérèglement climatique. Et rétablir certaines vérités. Sur les réseaux sociaux, les « fake news » sont légion. « Dire que 15 bateaux de marchandises polluent plus que toutes les voitures du monde est totalement faux », s'emporte le président d'Armateurs de France, Jean-Marc Roué.

Certes, les navires de transport de marchandises et les bateaux de croisière émettent du CO2 et polluent. L'industrie est responsable de 2,8 à 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, selon les différentes études conduites. Mais avec la croissance prévue du trafic maritime, ce niveau risque d'augmenter. Si rien n'est fait, ces émissions pourraient progresser de 250 %, avertit l'Elysée. Aussi, les initiatives se multiplient pour contrer ce risque. Dans les instances internationales, les milieux politiques et les entreprises elles-mêmes.

L'engagement de Macron sur la vitesse des navires

 

Au sommet du G7, cet été à Biarritz, Emmanuel Macron, dans son adresse aux Français, annonce le lancement d'une coalition maritime. « Pour la première fois, nous allons nous engager, avec les transporteurs maritimes, pour réduire la vitesse, ce qui est l'un des moyens les plus efficaces pour réduire les émissions. »

 En réduisant la vitesse de 2 noeuds, vous abaissez de 30 % les émissions de CO2. 

jean-marc roué Président d'Armateurs de France

Placée sous l'égide de Bertrand Piccard, le président de  Solar Impulse , et de Rodolphe Saadé, le PDG de CMA CGM, cette coalition rassemble déjà une douzaine d'entreprises du secteur. Bertrand Piccard vient lui-même la défendre devant les chefs d'Etat du G7. « Nous n'allons pas réduire d'un seul coup toutes les émissions. Mais l'adoption d'un ensemble de mesures, comme la réduction de la vitesse des navires, le changement de leur carburant et le branchement à quai des bateaux, permettra, à terme, de réduire l'empreinte carbone de l'industrie maritime », explique-t-il.

La France soutient la réduction de vitesse

« Réduire la vitesse des bateaux est une idée simple, facile et efficace rapidement. Je défends l'idée depuis plus de dix ans, jusqu'ici dans l'indifférence générale. Je me réjouis qu'elle s'impose enfin », s'enthousiasme Philippe Louis-Dreyfus,  président de Louis Dreyfus Armateurs . « Un navire 'capesize' de 180.000 tonnes transportant du minerai de fer, par exemple, est conçu pour aller à une vitesse maximale de 14 noeuds. Si vous abaissez sa vitesse à 12 noeuds, vous réduisez sa consommation de 55 % », explique-t-il. « En réduisant la vitesse de 2 noeuds dans certains secteurs, vous pourriez abaisser de près de 30 % les émissions de CO2 », renchérit Jean-Marc Roué. En avril dernier, la France soumet l'idée à l'Organisation maritime internationale (OMI). Cette instance onusienne qui rassemble quelque 170 pays a notamment pour mission d'établir des normes pour la performance environnementale des transports maritimes internationaux.

La proposition française sera débattue ce mois-ci au siège de l'institution, à Londres. La France espère un vote en 2020 et une application à l'horizon 2023. La confiance est d'autant plus élevée qu'en septembre dernier la puissante organisation maritime internationale Baltic and International Maritime Council (Bimco) a soumis, elle aussi, une solution à l'OMI. Forte de ses 2.000 membres (65 % du tonnage mondial),  elle propose de réduire la puissance des navires . « L'annonce du Bimco va dans le sens des idées françaises. Si vous réduisez la puissance d'un navire, vous réduisez sa vitesse. Les deux approches sont complémentaires. Si vous ajoutez à cela le soutien des armateurs grecs, qui représentent 40 % de la flotte mondiale, nous sommes sur la bonne voie », assure Philippe Louis-Dreyfus.

« Ces propositions s'inscrivent parfaitement dans la stratégie de l'OMI visant à réduire l'intensité carbone des navires », avance Camille Bourgeon, membre du secrétariat de l'OMI. En 2018, en dépit des réserves américaines et saoudiennes, l'organisation fixe comme objectif la réduction, par rapport à 2008, d'au moins 50 % du volume total des émissions des navires d'ici à 2050. Parallèlement, les émissions de CO2 doivent diminuer d'au moins 40 % d'ici à 2030 et, si possible, de 70 % d'ici à 2050. C'est dans cet esprit qu'en septembre dernier une autre coalition, Getting to Zero Coalition - qui rassemble une soixantaine d'acteurs du transport maritime dont Maersk, le premier armateur mondial, de l'énergie (Anglo American, Shell) et de la finance (Citigroup, Société Générale) -, promet la mise en service d'ici à 2030 de navires « zéro émission » commercialement viables, fonctionnant avec des carburants « zéro émission ».

De nouvelles technologies

Mais la réduction de la vitesse des navires ne suffira pas, à elle seule, à limiter l'impact de l'industrie maritime sur le climat. L'amélioration de la performance énergétique des navires est aussi vitale. Elle revêt bien des aspects. Entre l'utilisation de voiles rigides ou de cerfs-volants géants tractant les navires, la forme des carénages, les peintures utilisées pour éviter l'encrassage de la coque par des algues ou des coquillages qui réduisent l'hydrodynamique du bateau, les transporteurs maritimes rivalisent d'idées.

Exemple : le mois dernier, la compagnie maritime Alizés a été choisie pour transporter des éléments de la fusée Ariane 6 vers Kourou au moyen d'un  cargo nouvelle génération . Quatre ailes articulées permettront de réduire la consommation de carburant du navire d'environ 30 % grâce aux vents. « Les évolutions technologiques destinées à optimiser la performance énergétique et à réduire l'empreinte sur l'environnement ont commencé au début des années 2000 », constate Xavier Leclercq. Résultat : « Depuis 2008, la capacité de transport de la flotte mondiale a progressé de 60 % et les émissions de gaz à effet de serre ont été réduites de 18 % », précise Jean-Marc Roué. Les armateurs s'insurgent face au procès d'intention qui leur est fait depuis plusieurs mois. Pour Jean-Marc Roué, « le transport maritime n'est pas le problème mais la solution au dérèglement climatique ».

Reste que les efforts déployés ces dernières années doivent s'inscrire dans la durée. Ces efforts porteront en particulier sur le carburant utilisé. L'industrie maritime, de ce point de vue, vit une révolution. Qui sera bénéfique non seulement sur le plan des émissions de CO2, mais aussi sur celui des particules fines d'oxyde de soufre ou d'oxyde d'azote. Les riverains des ports, comme à Marseille ou Toulon, entre autres, ne décolèrent pas en contemplant leurs fenêtres ou leurs terrasses noircies par les fumées des bateaux de croisières mouillant au port.

Des carburants plus propres

Face au fioul lourd, ce « bunker oil » fortement polluant et de plus en plus décrié, la solution viendra de l'utilisation de carburants plus propres. Les industriels français font le pari du gaz naturel liquéfié (GNL). « Le GNL est le seul carburant alternatif disponible dans l'immédiat. Il est indispensable pour atteindre les objectifs de l'OMI en matière de gaz à effet de serre », anticipe Jean-Marc Roué. Brittany Ferries, la compagnie qu'il dirige, a ainsi commandé trois navires au GNL. « Pour la même quantité d'énergie consommée, le GNL émet jusqu'à 20 % de moins de gaz à effet de serre que le carburant que nous utilisons aujourd'hui. Si l'on ajoute à cela que les navires équipés en GNL sont neufs, chez Brittany Ferries, nous pouvons atteindre une réduction de 40 % », ajoute-t-il.

CMA CGM, quant à elle, vient de mettre à l'eau, à Shanghai, le « CMA CGM Jacques Saadé »,  le plus grand porte-conteneurs du monde propulsé au GNL . Long de 400 mètres pour une soixantaine de large, il aura une capacité de 23.000 conteneurs. « D'ici à 2022, notre flotte comprendra une vingtaine de navires utilisant ce carburant », indique Xavier Leclercq. « D'ici trois ans, c'est environ 10 % de la flotte française qui pourrait l'utiliser », juge Jean-Marc Roué.

Les avantages du GNL vus par CMA CGM.

Les avantages du GNL vus par CMA CGM.CMA CGM

Un bémol, toutefois. L'utilisation de la technologie GNL nécessite des liaisons maritimes régulières et fixes. Tous les ports du monde n'ont pas les infrastructures nécessaires. « C'est faisable pour les porte-conteneurs ou les ferries, moins pour les navires marchands traditionnels. Le transport maritime, dans 65 % des cas, fonctionne à la demande. Un navire ne connaît sa destination finale qu'au dernier moment. De plus, celle-ci peut changer en cours de route », alerte Philippe Louis-Dreyfus. Les croisiéristes sont donc de plus en plus dans le collimateur.

Développer le branchement à quai

Vilipendées pour leurs fumées polluantes lorsqu'elles mouillent au large d'un port d'escale, ces « barres d'immeubles flottantes » vont devoir s'adapter. Par le branchement à quai. « Lorsque les navires sont amarrés, ils ont besoin d'énergie pour supporter toutes les activités portuaires telles que le chargement, le chauffage ou l'éclairage, et ce, grâce à leurs moteurs auxiliaires très polluants. Les gouvernements doivent soutenir les connexions électriques à terre. Des ports tels que Vancouver et Seattle ont été équipés et la Californie a même rendu obligatoire l'alimentation à quai, ce qui a permis de réduire considérablement leurs émissions », observe Bertrand Piccard. Or, aujourd'hui, seule une vingtaine de ports est pourvue de telles facilités. Ce sera bientôt le cas des ports méditerranéens français.

Des croisiéristes s'engagent

Sur la Côte d'Azur,  le plan régional « Escales zéro fumée » , de 30 millions d'euros, annoncé en septembre, va être déployé à Marseille, Toulon et Nice. Les deux tiers de l'enveloppe seront consacrés aux infrastructures nécessaires au branchement électrique des navires à quai. « A Marseille, la totalité des ferries seront branchables à quai à l'horizon 2023 », assure Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Quant aux navires de croisière, ils pourront tous être branchés d'ici à 2025. Les principaux opérateurs de croisières dans les eaux françaises, Costa Cruises, MSC Croisières, Royal Caribbean Cruises Ltd. et Ponant (95 % des passagers à Marseille), ont promis d'améliorer,  via la charte bleue , la qualité de l'air. Branchement des bateaux au réseau électrique et utilisation de carburants moins polluants sont au programme.

Il n'est toutefois pas sûr que ces évolutions technologiques suffisent. Certains réclament l'instauration d'une taxe carbone sur le carburant des navires.  Une étude récente de l'OCDE montre que, à la différence de l'essence et du diesel automobile, le kérosène des avions et le fioul des bateaux ne sont quasiment pas taxés. Le mois dernier, dans son discours sur le pacte productif, le ministre des Finances français, Bruno Le Maire, a émis l'idée d'une taxe carbone européenne sur le carburant des navires. Une telle taxe, selon les industriels, ne ferait que détourner le trafic si elle n'était adoptée qu'au seul niveau de l'Europe. En matière de fiscalité comme en matière de réduction de la vitesse des bateaux ou de branchement à quai, les règles doivent s'appliquer partout dans le monde. Sinon, c'est l'échec assuré.

Source : Les Echos.fr