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Article • Bureau exécutif • Actualité Partenaire AETL • 25 November 2020

Une organisation de travail pour favoriser l'innovation : le modèle apprenant

 

L’innovation est toujours le fruit de la mobilisation de compétences collectives. En effet, les performances des entreprises ne dépendent pas de l’addition ou de la juxtaposition des compétences individuelles qui la composent, mais de la coopération entre tous leurs membres et avec leurs partenaires extérieurs. Ces compétences collectives jouent donc un rôle décisif dans l’émergence et la diffusion des innovations.

Mais encore faut-il que le management et l’organisation du travail dans une entreprise rendent possible cette coopération, et même la mettent au centre de leur préoccupation. Se pose donc la question des modèles d’organisation qui seraient les plus propices au transfert d’innovations technologiques et à leur adoption.

D’après une étude récemment publiée par France Stratégie, le modèle d’organisation du travail dite « apprenante » est le plus pertinent pour développer chez les salariés leur capacité d’apprentissage, ainsi que leurs compétences cognitives, organisationnelles et sociales, indispensables pour innover. En promouvant les apprentissages nouveaux, cultivant et tirant bénéfice au mieux des capacités d’initiative des salariés et de leur intelligence, le modèle d’organisation du travail apprenante apparaît comme un levier stratégique pour favoriser le progrès technologique, mais aussi économique et social.

Pourtant, la proportion de salariés appartenant à des organisations apprenantes se situerait en France loin derrière les pays nordiques et les Pays-Bas, du chemin reste donc à parcourir.

"Le rythme auquel les organisations apprennent pourrait devenir la seule source durable d’avantages concurrentiels dans un monde en perpétuel changement." Peter Michael SENGE, Professeur au  Massachusetts Institute of Technology (MIT) et spécialiste en management.

Salima Benhamou, docteure et économiste à France Stratégie au département Travail, Emploi, Compétences, et co-auteure de l’étude « Les organisations du travail apprenantes : enjeux et défis pour la France », nous explique ce que sont les organisations de travail apprenantes, et en quoi et comment elles concourent à l’innovation.

Qu’est-ce qu’une organisation de travail apprenante ?

C’est une organisation qui cherche à développer en continu les capacités d’apprentissage de ses membres pour anticiper les transformations futures dans un environnement complexe. Ce modèle repose sur trois piliers :

  • Des pratiques RH et managériales hautement participatives visant à développer les compétences en continu et l’autonomie de l’ensemble des salariés. Cela passe par l’implication dans l’élaboration des objectifs, mais aussi la résolution de problèmes complexes et l’expérimentation de nouvelles méthodes de travail. Ce qui se fait notamment via la constitution d’équipes pluridisciplinaires sur des projets clairement définis et partagés.
  • Une démarche managériale encourageant la remise en question des cadres et règles préétablies pour favoriser l’innovation de la part des salariés. Cela passe par une réflexion sur les processus et le travail de manière systémique et non en silo. Se tromper n’est pas une erreur mais un droit pour progresser.
  • Un haut niveau de flexibilité et de réactivité organisationnelle, directement lié à une capacité élevée d’innovation. Cela passe par la coopération, les échanges d'informations entre les salariés et le travail en réseaux avec d’autres parties prenantes de l’entreprise.

Clés de la réussite :

  • Définir clairement les objectifs à atteindre + les partager et faire adhérer les collaborateurs à ces objectifs + leur donner les moyens de les atteindre.
  • Favoriser la remise en question systémique des processus de travail + donner la possibilité de se tromper pour progresser.
  • Inciter la coopération et les échanges d’informations entre tous les collaborateurs.

En quoi se différencie-t-elle des autres organisations ?

Actuellement, il existe deux types d’organisations qui sont majoritairement répandues.

Le premier type est le modèle classique (ou taylorien). Il se caractérise par des modes de coordination et de décision très centralisés, entre le top management qui conçoit la stratégie et la grosse majorité des salariés qui exécutent. Le travail se caractérise par une forte division des tâches de conception et des taches d’exécution et par un contenu du travail très routinier.

Il ne sollicite donc ni la créativité ni l’autonomie, et encore moins le travail en équipes pluridisciplinaires. C’est en adéquation avec le contexte dans lequel il a été créé au XIXe siècle, puisqu’il était pensé pour évoluer dans un environnement très stable et prévisible.

Le deuxième type est le modèle lean management. Dans ce mode d’organisation du travail, les salariés bénéficient d’une certaine autonomie mais elle est plus limitée que dans une organisation apprenante (méthodes, rythme, contrôle de la qualité). En effet, cette approche managériale contraint aussi les salariés au strict respect des normes en raison d’un haut niveau de standardisation des processus de production. 

Plus les processus de production sont standardisés et plus la substitution humaine-machine sera élevée car les systèmes basés sur l’intelligence artificielle s’adaptent particulièrement à des tâches déjà normalisées.

D’après l’étude que nous avons menée auprès de 648 salariés, ceux qui travaillent dans une organisation apprenante ont plus de chances d’occuper un emploi stable, d’accéder à la formation continue, que ce soit en situation de travail ou à l’extérieur de l’entreprise, et de bénéficier de meilleures conditions de travail et d’une meilleure qualité de management. Tout ceci contribue à une meilleure performance sociale et génère des gains économiques pour les employeurs car la productivité et les capacités d’innovation dépendent aussi des compétences et de l’implication des salariés.

Pourquoi l’organisation de travail apprenante est-elle peu représentée en France ?

Le modèle d’organisation apprenante est sous-représenté car la dimension organisationnelle et managériale est souvent sous-estimée dans les politiques publiques françaises visant à soutenir l’innovation, la compétitivité et le développement des compétences. Cette donnée est difficile à évaluer empiriquement mais elle est éclairée par l’observation du système de formation initiale français. En effet, le système éducatif valorise beaucoup plus le savoir théorique délivré par la filière académique classique que les compétences opératoires des filières professionnelles. Aussi, les salariés qui ont accès à la formation continue suivent majoritairement des formations qui se déroulent en dehors de l’entreprise, sous forme de cours ou de stages. Tandis que les actions de formation sur le lieu de travail, qui visent à accroître les compétences de manière plus opérationnelle, sont moins développées.

Pourtant, c’est à travers les pratiques organisationnelles et managériales que les organisations du travail jouent un rôle déterminant dans la manière de gérer et développer les connaissances, savoir-faire et compétences sur le lieu de travail.

L’organisation apprenante contribue-t-elle à rendre les entreprises plus innovantes ?

La crise sanitaire que nous traversons est un appel à repenser notre manière d’organiser nos méthodes de travail, pour faire face à l’imprévisible. Cela ne passe pas tant par une modalité particulière qui est le télétravail que le contenu du travail en lui-même et la manière dont sont gérés les savoirs.

En effet, la volatilité de l’environnement sera bientôt déterminée par de nombreux facteurs tels que l’intelligence artificielle, le ralentissement de la croissance des gains de productivité, et l’émergence de crises économiques et géopolitiques successives. La performance des entreprises passera de plus en plus par des organisations du travail capables d’optimiser rapidement la gestion des savoirs et des compétences et d’anticiper les changements, même brutaux.

 

L’éclairage des professionnels : qu’en pensent des chefs d’entreprises du T&L ?

Christophe Caset-Carricaburu, Président de Services Ecusson Vert (SEV), est à la tête d’une TPE de 16 salariés dont le cœur de métier est la livraison verte du dernier kilomètre à Montpellier. SEV participe aussi à des programmes innovants comme la Smart City ou encore le test d’un véhicule intelligent expérimental Renault ou de droïdes.

« L’expérimentation de solutions innovantes est née d’un besoin de solutions pour développer ma société. Être engagé dans un processus d’innovation me permet aussi d’avoir une certaine acuité par rapport à l’évolution de mon environnement, et d’avoir une meilleure réactivité face à l’évolution de la livraison urbaine à des particuliers, avec l’essor de la livraison alimentaire à domicile par exemple. Pour moi, l’innovation passe non seulement par un véritable engagement dans l’écosystème de ma ville, mais aussi par la structuration de mon entreprise. En embauchant des livreurs et un responsable d’exploitation, j’ai pu me dégager du temps pour me concentrer sur des projets innovants. Je suis maintenant membre d’un cluster pour continuer à développer des partenariats et je continue ma collaboration avec la Métropole et la région Occitanie. La participation à de multiples réseaux, permet, en temps qu’autodidacte, de développer mes compétences personnelles via un apprentissage continu.

À l’écoute de ce qu’est une organisation apprenante, je vais réfléchir à des solutions pour impliquer mes salariés dans la vie de la société. Par exemple, des démarches d’écoconduite, et plus généralement des actions qui vont dans le sens d’un développement durable, peuvent susciter leur intérêt. Par rapport à l’étude de France Stratégie, je pense que c’est aussi important de reconnaître les compétences de nos salariés et leur permettre d'évoluer en interne. Il faut montrer que la direction souhaite qu'ils s’investissent, afin de les motiver et les pousser à trouver des solutions qui nous ouvriront, peut-être, demain de nouveaux marchés. »

Patricia Ruiz dirige le Groupe Ruiz, PME familiale spécialisée dans le transport de marchandises routier et la logistique.Le Groupe RUIZ continue sa croissance depuis plus de 50 ans, et a choisi de s’engager il y a un an et demi dans une démarche collaborative avec ses salariés.

« Nous avions un double-enjeu : ne pas paraître comme un clan familial au sein de l’entreprise existante et gérer notre croissance externe avec le rachat d’un deuxième site. La direction a éprouvé le besoin de réorganiser l'entreprise, de rapprocher les équipes pour qu'elles travaillent ensemble et que le travail soit optimisé. Il fallait donc expliquer à nos collaborateurs nos objectifs, que nous voulions atteindre avec eux.

C’est dans ce contexte que nous nous sommes engagés dans une démarche de RSE (responsabilité sociale d’entreprise). Nous avons instauré des réunions avec tout le personnel pour partager l'information, et des groupes de travail ont été mis en place, chargés de décliner opérationnellement des axes stratégiques définis par la direction. Ces groupes de travail fonctionnent avec un principe de transversalité, par exemple en faisant travailler ensemble les fonctions commerciales et de l’exploitation. Un pilote restitue tous les 4-5 mois au comité de direction les résultats de son groupe de travail. Le but est de créer une même vision de l'entreprise et de faire adhérer les équipes à une culture d'entreprise commune, en mettant en place des démarches participatives qui favorisent le pouvoir d'agir des collaborateurs.

Le concept d’organisation apprenante a tout son sens à mon avis, car il permet d’impliquer les salariés dans l’évolution de leur carrière au sein de l’entreprise. Il y a aussi tout un contexte qui nous fait énormément réfléchir. Avec la technologie de nos camions, le véhicule autonome et le platooning, on est en train de repenser complètement le métier de conducteur routier. Ce sont des choses nouvelles que l’on va devoir prendre en compte très rapidement, et l’organisation apprenante peut nous être très utile. »

 

Ce modèle d’organisation est présent dans tous les secteurs d’activité et pour tous types d’emplois. Le rapport de France Stratégie montre ainsi des exemples concrets de mise en œuvre d’organisations apprenantes dans le secteur de l’aide à domicile, dont les emplois présentent à plusieurs égards des caractéristiques communes à celles de la livraison urbaine (métiers peu valorisés, peu qualifiés). Ces personnes sont en effet des capteurs de réalités sur le terrain en mesure de fournir des informations importantes pour la performance de l’entreprise. C’est un travail continu où la participation des salariés, et leur intérêt à participer, passe par une démarche active du management et de la direction.

Les deux témoignages ci-dessus proviennent de dirigeants dont les entreprises satisfont à certaines caractéristiques propres aux organisations apprenantes (l’innovation via la collaboration et les dynamiques de réseaux pour SEV et l’inclusion de l’ensemble des collaborateurs dans les processus de travail pour le Groupe Ruiz). Dans de nombreuses entreprises françaises de Transport et Logistique, il existe aussi un terreau fertile au déploiement d'un tel modèle, qui leur permettront d’ancrer leur développement dans un apprentissage continu de tout le collectif de travail, et d’accroître les compétences individuelles et collectives pour innover davantage et performer.

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